On entend par responsabilité, l’obligation de répondre de certains de ses actes, d’être garant de quelque chose, d’assumer ses promesses.

Elle a pour conséquence le devoir de réparer un préjudice causé à quelqu’un de par son fait ou par le fait de ceux dont on a en charge la surveillance, voire de supporter une sanction.

On distingue d’une part la responsabilité civile, qui résulte d’un acte juridique dommageable (responsabilité civile contractuelle) ou d’un fait juridique dommageable (responsabilité civile délictuelle ou quasi-délictuelle) et, d’autre part, la responsabilité pénale qui résulte d’un comportement répréhensible mettant la société en péril. Ces responsabilités sont soumises à des régimes juridiques propres.

En ce sens, les dirigeants sont susceptibles d’engager leur responsabilité, à de maintes reprises, dans le cadre de leurs activités.

L’importance des pouvoirs conférés aux administrateurs doit trouver une sanction dans la responsabilité qu’ils peuvent encourir afin de les inciter à assurer une gestion saine et honnête de la société. Cette responsabilité est à la fois civile et pénale.

I- La responsabilité civile des dirigeants sociaux : 

A- Les conditions d’exercice de l’action en responsabilité :

En application des articles 77, 78, 230 et 231 du DOC, la responsabilité civile des dirigeants peut être engagée en cas de réunion des éléments traditionnels de la responsabilité civile, à savoir la faute, le préjudice et le lien de causalité entre ses deux premiers éléments.

1- La faute :

Certains actes commis par les dirigeants peuvent constituer une faute à l’égard des associés et de la société ou à l’égard des tiers.

a- À l’égard des associés et de la société :

Comme le prévoit les articles 352 de la loi 17-95 et 67 de la loi 5-96, les fautes susceptibles d’engager la responsabilité des dirigeants de toutes les sociétés sont « soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables (à la société concernée), soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ».

  • Les infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables à la société concernée :

Il s’agit de faits matériellement établis, comme le non-respect des formalités de constitution, l’inobservation des prescriptions relatives à la présentation des comptes sociaux, la distribution de dividendes fictifs, des irrégularités dans les règles de convocation et de réunion des assemblées…

  • La violation des statuts :

Il s’agit des dispositions statutaires dont l’objet est d’établir des règles de fonctionnement particulières, et pas la simple reprise d’une disposition législative ou réglementaire.

Ces clauses statutaires s’imposent aux dirigeants car, conformément aux dispositions de l’article 230 du DOC, elles tiennent lieu de loi à tous les membres de la société.

  • Les fautes de gestion :

La notion de faute de gestion n’a pas été défini par le législateur marocain.

En tant que professionnel, le dirigeant doit se comporter de manière prudente, diligente et active dans la gestion des affaires sociales. Parmi les fautes de gestion les plus courantes, il y a :

– omission de souscrire une assurance pour les véhicules utilisés par la société ;

– oubli de convoquer les associés en assemblée générale ;

– avoir disposé des biens de la société ;

– avoir signé des chèques en blancs remis à un comptable indélicat, qui en a profité pour détourner des fonds de la société.

  • Le manquement à l’obligation de loyauté du dirigeant à l’égard de la société et de ses associés :

En adéquation avec l’obligation de bonne foi prévue en matière contractuelle par l’article 230 du DOC, le dirigeant est tenu d’agir, en toutes circonstances, en toute honnêteté dans l’intérêt de la société et de ses associés.

b- À l’égard des tiers :

En effet, dans les rapports avec les tiers, la société est engagée même par les actes du dirigeant qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne prouve que les tiers savaient que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait l’ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.

Lorsque l’action en responsabilité civile est exercée contre le dirigeant par un tiers, il faut dans ce cas prouver une faute détachable de sa fonction qui lui est imputable personnellement.

2- Le préjudice :

Pour demander la réparation de préjudice, il faut que la victime présente les caractères d’un préjudice réparable, c’est-à-dire le préjudice doit être direct, certain, personnel et porter atteinte à un droit acquis.

3- Le lien de causalité :

Pour mettre en cause la responsabilité d’une personne, le demandeur d’une action en responsabilité doit démontrer l’existence d’une relation de cause à effet entre la faute et le préjudice. À ce propos, le demandeur d’une action en responsabilité contre les dirigeants est tenu de démontrer que la faute des dirigeants est la cause du dommage dont il réclame la réparation.

B- La mise en œuvre de l’action en responsabilité :

La mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants se fait par deux actions bien distinctes :

1- L’action sociale :

Elle est ouverte à la société pour demander la réparation du dommage subi. Cette action se subdivise en deux actions : l’action « ut universi » et l’action « ut singuli ».

a- L’action « ut universi » :

L’action ut universi, est l’action dirigée par les dirigeants pour obtenir la réparation du préjudice causé à la société qu’ils dirigent.

b- L’action « ut singuli » :

Cette action est dirigée par l’un des associés ou actionnaires de la société (les articles 353 alinéa 1 de la loi 17-95 et 67 alinéa 3 de la loi 5-96).

2- L’action individuelle :

L’action individuelle est exercée par l’actionnaire ou par le tiers pour obtenir la réparation du préjudice qu’il a personnellement subi.

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NB : L’exercice de l’action en responsabilité (sociale ou individuelle) en droit marocain se prescrit par cinq ans, à compter du fait dommageable.

II- La responsabilité pénale des dirigeants sociaux :

Nous constatons que les préjudices les plus graves que connaît l’entreprise trouvent leurs raisons, dans la plupart du temps, dans ses dirigeants. Cela a poussé le législateur à organiser la responsabilité pénale des dirigeants, en essayant de déterminer les infractions pouvant être commises par ces derniers, ainsi que les sanctions prévues pour elles, et ce, dans le droit des sociétés et dans le code de commerce.

A- les infractions en matière de droit des sociétés :

1-    Les infractions liées à la naissance de la société :

* Surévaluation des apports en nature :

Comme tout infraction, l’infraction de surévaluation des apports en nature est constituée de trois éléments : l’élément légal, matériel et moral.

Élément légal : Les articles qui répriment ce délit sont l’article 379-4) de la loi 17-95 et l’article 106 de la loi 5-96.

Élément matériel : L’élément matériel du délit consiste à attribuer à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle.

Élément moral : L’élément moral est l’intention frauduleuse, coupable, illustré par le terme « frauduleusement », de commettre l’infraction et d’être au courant de ses conséquences.

Les sanctions : Le législateur punit cette infraction dans l’article 379-4) de la loi 17-95 par une sanction d’emprisonnement d’un à six mois et /ou une amende de 8.000 à 40.000 DH, alors que l’article 106 de la loi 5-96 prévoit une sanction d’emprisonnement d’un à six mois et/ou une amende de 2.000 à 20.000 DH.

2- Infractions liées au fonctionnement de la société :

* Abus de biens sociaux et des pouvoirs :

Il constitue une infraction pénale spéciale définie par l’article 384 ns°(3) et (4) de la loi n° 17-95 sur la SA. Selon cet article, l’abus de biens sociaux consiste à « faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ». Tous ces éléments peuvent être regroupés au sein de deux catégories, nécessaires pour la détermination de toute infraction à savoir :

– l’élément matériel : (Usage de biens, de crédit, de pouvoirs et/ou de voix à un intérêt personnel) ;

– l’élément moral : il se compose de deux dols :

  • Dol général :qui peut être défini comme la volonté et la conscience de commettre l’infraction, telle qu’elle est définie par la loi ;
  • Dol spécial :qui consiste en la recherche d’un intérêt personnel, d’un enrichissement matériel ou moral, qui est soit direct, lorsque le dirigeant s’enrichi seul au détriment de ses associés, soit indirect, si le délit a pour but de favoriser une société ou une entreprise dans laquelle le dirigeant est intéressé directement ou indirectement).

Les sanctions : Le législateur punit les dirigeants qui ont commis l’infraction d’abus de de biens sociaux (ABS) dans l’article 384 ns°(3) et (4) de la loi n° 17-95 par une sanction d’emprisonnement de un à six mois et /ou une amende de 100.000 à 1.000.000 DH.

* Augmentation délictuelle du capital :

La valeur des apports en numéraire et en nature constitue le capital social de la société. Considéré comme le gage des créanciers sociaux, celui-ci est soumis au principe de l’intangibilité. Le capital social peut être augmenté en une ou plusieurs fois, soit par émission d’actions nouvelles, soit par majoration de la valeur nominale des actions existantes. Ainsi, une augmentation du capital n’est pas en soi une infraction, elle ne constitue un délit que si elle est faite d’une manière irrégulière.

* Violation du droit préférentiel de souscription : 

Une augmentation de capital peut se traduire par l’entrée de nouveaux actionnaires dans la société, où ils viendront concurrencer les associés anciens. Pour protéger leurs droits acquis sur les réserves et sur les bénéfices, la loi leur accorde un droit préférentiel de souscription, protection étendue à certains obligataires. Cette protection est garantie par les sanctions pénales prévues à l’article 396 de la loi n° 17-95. Ledit article interdit aux dirigeants de porter atteinte à ce droit préférentiel au risque de commettre un délit de violation d’un droit préférentiel de souscription. Ainsi, le fait pour les dirigeants de la société anonyme de ne pas respecter le droit préférentiel de souscription constitue une infraction pénale les exposant à une amende de 10.000 à 100.000 DH.

B- Les infractions prévues par le code de commerce :

1- Les infractions commises lors de l’ouverture des difficultés de l’entreprise :

Le code de commerce marocain prévoit dans ses articles 754 à 757 deux catégories d’infractions : la banqueroute et les autres infractions.

* La banqueroute :

Élément légal : La banqueroute est réprimée par l’article 754 du code de commerce.

Élément matériel : l’article 754 dispose qu’en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l’article 736 contre lesquelles a été relevé l’un des faits ci-après :

– Avoir dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de traitement, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

– Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur ;

– Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;

– Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la société ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque la loi en fait l’obligation.

 

Élément moral : En principe, la banqueroute est un délit intentionnel avec un dol général. Il existe aussi un dol spécial, à savoir l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire.

Les sanctions : Le législateur punit cette infraction dans l’article 755 du code de commerce par une sanction d’emprisonnement d’un an à cinq ans et/ou une amende de 10.000 à 100.000 DH.

Ces peines sont portées au double lorsque le banqueroutier est dirigeant, de droit ou de fait, d’une société dont les actions sont cotées à la bourse des valeurs.

Les personnes coupables de banqueroute, encourent également, à titre de peines accessoires, la déchéance commerciale.

2- Autres infractions :

L’article 757 du code de commerce prévoit que « sont punis des peines de la banqueroute :

– Ceux qui ont, dans l’intérêt des personnes mentionnées à l’article 736, soustrait, recelé ou dissimulé tout ou partie des biens, meubles ou immeubles de celles-ci ;

– Ceux qui ont frauduleusement déclaré dans la procédure, soit en leur nom, soit par interposition de personne, des créances fictives …».